
PLEASE
SING ME MY SONG
BEFORE YOU GO
JOËL ANDRIANOMEARISOA
Please Sing Me My Song Before You Go est la première exposition de Joël Andrianomearisoa à Hakanto Contemporary. Elle s’articule autour d’une œuvre cinématographique éponyme, la première que l’artiste réalise, une œuvre commissionnée par l’IFA Gallery et présentée en première mondiale à Berlin en 2024 à l’occasion de son exposition Measures Lullabies and Whispers*.
Brassant plusieurs formes d’expression et manipulant différents médiums dans son travail, Joël Andrianomearisoa tisse son œuvre à travers une multitude de matières : le métal, le textile, le papier, les mots… et maintenant l’image et le son. Son film Please Sing Me My Song Before You Go est une œuvre intime et mélancolique qui emprunte les résonances d’une mémoire fragmentée, hantée par l’écho d’une berceuse, Iny Hono Izy Ravorombazaha. Transmise de génération en génération, cette mélodie est inspirée elle-même du conte traditionnel Imaitsoanala : une histoire de rupture et de fuite, où l’oiseau géant Ravorombe s’oppose à l’union de sa fille humaine avec son bien-aimé, entraînant une odyssée d’évasion et une ode au désir de liberté.
Mais ici, la berceuse n’est pas qu’un chant d’apaisement. Elle devient un chant d’abandon.
Joël Andrianomearisoa détourne la douceur du refrain pour en révéler la déchirure sous-jacente : celle du départ, du renoncement, de l’effacement progressif de l’autre.
À travers une mise en scène abstraite, il capture les vestiges de la présence – le souvenir de la première rencontre, la lente intrusion du silence jusqu’à l’abdication des corps.
Le rythme obsessionnel de la berceuse devient dans ce film une matière vivante, un battement entre le deuil et l’espérance. Dans cette oscillation entre le personnel et l’universel, le film ne se contente pas d’être un récit : il devient un espace, un seuil où l’abandon se fait murmure, où l’absence s’écrit en image, où le chant persiste, suspendu dans le temps.
De ce sentiment d’abandon, Joël Andrianomearisoa révèle également d’autres formes et langages esthétiques dans cette exposition à travers d’autres installations, dont quelques travaux qui explorent l’accumulation et la répétition dans une tentative de fixer la mémoire et d’interroger l’oubli.
D’abord cette série de vitrines qui abritent des bougies vacillantes, consumant lentement leur propre lumière. La cire fond, se fige, s’accumule au creux du verre, laissant derrière elle des empreintes silencieuses du temps qui s’efface. Une présence fragile, une mémoire en devenir.
Cette scène n’est pas sans rappeler un paysage familier, celui des rues de la capitale à la tombée de la nuit. Ces échoppes de fortune éphémères où la lueur discrète des bougies éclaire les étals des vendeurs ambulants. Une lumière fugace qui accompagne les passants rentrant chez eux ou les noctambules s’abandonnant à la nuit.
Inspirée de l’art minimal** – un courant artistique porté par des artistes majeurs tels que Donald Judd (1928-1994) qui est connu pour ses sculptures géométriques en métal et plexiglas – cette installation de Joël Andrianomearisoa réinvente à sa façon un rituel quotidien et l’élève au rang de la poésie.
Puis cette installation de quatre cents plaques d’aluminium qui se dresse telle une constellation de mémoires. Évoquant des plaques commémoratives, elles inscrivent dans le métal l’écho d’une présence, le poids d’un souvenir figé dans la matière. A travers cette pièce faisant échos à des travaux antérieurs actuellement exposés à la Fondation Zinsou au Benin – La Promesse de la Terre qui est une accumulation des plaques de terre et Le Miroir de la Terre, une autre accumulation de plaques de mica – Joël Andrianomearisoa rend tangible à travers la matière le témoignage du temps qui suit la séparation, pour que l’empreinte du passé demeure et que la mémoire ne sombre pas dans l’oubli.
Dans cette même quête de préservation des traces, l’artiste prolonge le geste en disséminant dans l’espace d’exposition les empreintes de sa propre main. Sur des toiles imprégnées d’huile noire, il laisse une marque à la fois intime et universelle, un dialogue silencieux entre la présence et l’effacement, entre le corps et la mémoire, entre ce qui demeure et ce qui échappe.
Enfin, Hakanto Contemporary fermera définitivement son premier site d’exposition, à la Gallery Alhambra Ankadimbahoaka, après cinq ans d’activités et de programmation avec cette exposition de Joël Andrianomearisoa. L’artiste marque ainsi ce dernier chapitre, un ultime geste hautement symbolique dans lequel il insuffle une dernière résonance, une empreinte avant le silence, prolongeant ainsi l’histoire de ce lieu fondateur et historique qui avait été le témoin de tant de créations et de dialogues.
Rina Ralay-Ranaivo, mars 2025
* Measures Lullabies and Whispers avait été la première exposition personnelle de Joël Andrianomearisoa en Allemagne. Réalisée en 2024 et commissionnée par l’IFA Gallery, elle avait été sous le commissariat de Alya Sebti et Meriem Berrada.
** L’art minimal ou le minimalisme est un courant artistique apparu dans les années 1960 aux États-Unis qui se caractérise entre autres par le recours aux formes simples et géométriques, souvent répétées en série, créant un effet de rythme et de régularité.