DANY BE
WHAT A WONDERFUL WORLD

I see trees of green
Red roses too
I see them bloom
For me and you *

Dany Be voulait que l’on joue en son honneur cette chanson de Louis Armstrong, What a Wonderful World, le jour où il ne serait plus de ce monde. Un de ses titres favoris, il voulait que l’air de cette ballade populaire du jazzman américain soit associé à sa mémoire.

Enregistrée en 1967, cette chanson sonnait à l’époque comme un poème pacifique et optimiste dédié à la vie, alors que le monde vacillait sous l’effet des tensions sociales et raciales, de l’enlisement des idéologies politiques et des ravages des conflits armés.

L’image suggérée par cette chanson — que nous formons une communauté de destins face à toutes formes de menace — résonne avec la vision que Dany Be avait du monde en général, et de la société malgache, en particulier.
Tout au long de sa vie, il avait été une force de caractère — un mélange de courage, d’audace et d’intransigeance — quand le contexte et la situation le réclamaient.

En 1947, il assistait à l’arrestation de son père, fondateur du journal La Grande Île, par la Sureté Générale ainsi qu’à des scènes d’humiliation et de violence lorsqu’il lui rendait visite en prison.

Entre 1955 et 1956, pendant son service militaire dans l’Armée française, il était outré de l’attitude humiliante de l’un de ses supérieurs hiérarchiques qui photographiait la misère de la population malgache. D’emblée, le sentiment d’indignation causé par ces situations marquantes va susciter chez Dany Be l’aversion contre tout acte de répression et d’injustice. En même temps, cela l’avait également poussé vers la pratique photographique avec la volonté de représenter à sa manière son île et ses habitants.

À partir de 1957, son intérêt pour la photographie se confirme progressivement : Dany Be intègre le studio Select Photo à Antsirabe, tout en faisant en privé des reportages journalistiques avec un appareil photo emprunté à son frère. En 1959, il trouve un poste de journaliste photographe au sein du journal Madagascar Dimanche.

Comme ses confrères photographes, Dany Be n’avait jamais franchi le seuil d’une école de journalisme, pourtant il allait devenir un des fers de lance de ce milieu. Il va apprendre son métier sur le tas, au contact de ses collègues et autres professionnels de la presse et de l’information. Il se perfectionnera surtout sur le terrain, en sillonnant toutes les régions de la Grande Île et en voyageant à travers le monde — d’Afrique en Asie et d’Europe jusqu’en Amérique latine.
Ce qui fera de lui l’un des tenants de la photographie malgache des premières décennies de l’Indépendance.

Au fil des années 1960 et 1970, son talent, sa fiabilité et son intégrité seront reconnus. L’estime qu’on lui témoignera sera nourrie par le respect que lui-même avait pour le photojournalisme et ce qu’il considère comme sa profonde vocation : celle de poser un regard engagé sur le monde. Il était convaincu de l’impact des images de presse sur l’opinion publique avec l’espoir que la prise de conscience d’une situation par la majorité peut évoluer vers une conscience collective.
Inversement, tout ce qui n’a pas d’image n’existe pas. Un discours partagé par tous les photographes reporters que ce soit de guerre ou d’une réalité qui n’aurait pas eu de nom sans l’engament de ces photographes à travers le monde. L’exemple du combat de l’Apartheid en Afrique du Sud, dont les images étaient bien là pour en témoigner, est révélateur de ce rôle politique.

À l’époque, les images de presse étaient rares, ce n’est qu’à partir des années 2000 que la vulgarisation mondiale d’Internet et du numérique les a multiplié à l’infini, jusqu’à les rendre banales et évidentes, alors que dans les années 1960, 1970, 1980, 1990 — pour prendre les années d’activité de Dany Be, elles relevaient d’un véritable engagement tant humain que matériel (les appareils de photo, les pellicules, leur traitement pour les révéler et agrandir les images sur papier étaient très chers et peu accessibles au plus grand nombre).

D’entrée de jeu, Dany Be n’hésitait pas à investiguer, à aller au front dans l’exercice de son métier de photographe journaliste. D’ailleurs, les risques qu’il prenait lui ont causé de multiples complications : des altercations avec les forces de l’ordre, des arrestations et séjours en prison presque sous chaque régime, son renvoi du journal Le Courrier de Madagascar en 1971, et enfin la plus dure, la confiscation de ses archives couvrant les années 60 à 70 par la Police de la censure en 1983 — environ deux mille pellicules qu’il ne retrouva plus jamais.

Cette exposition rassemble 127 images du photographe, inédites pour la plupart. Nous avons fait le choix de ne pas dissocier l’engagement professionnel de Dany Be en tant que journaliste, de son travail artistique, mais plutôt de mettre en parallèle ces deux aspects de son œuvre.

D’une part, des séries d’images font directement référence à des contextes et domaines précis, tels que la politique, le social, le sport ou encore les loisirs ; et d’autre part, elles sont l’expression du regard que le photographe posait sur différents lieux et espaces, situations et contextes, à travers la Grande Île. Aussi bien en zone urbaine que rurale et même dans des régions reculées.

Les photographies de Dany Be traduisent souvent le sentiment de proximité qu’il avait avec son environnement.
Dans une esthétique humaniste, il immortalisait les instants et les scènes de vie quotidienne, réalisait les portraits des personnes qu’il côtoyait et celles anonymes croisées par hasard.
Ou simplement, il saisissait l’air du temps.

Les images de Dany Be remontent le temps de plusieurs décennies. Elles nous plongent dans des événements historiques majeurs qui ont ponctué, depuis l’Indépendance en 1960, le parcours politique, économique, social et culturel de Madagascar. En outre, Dany Be disposait de son précieux carnet d’adresses et de son important réseau professionnel qui lui permettaient d’être au centre des moments décisifs lors de ces mouvements de protestation, ces périodes de basculement et de transition.

Enfin, entrecroisé de son récit personnel — marqué par les péripéties qu’il avait rencontrées dans l’exercice de sa profession de journaliste photographe, ce travail dont l’esthétique peut se rattacher aux grands courants de la photographie humaniste, comme nous venons de le citer, démontre que le destin de Dany Be tutoyait celui de son pays à bien des périodes, faisant ainsi de lui un témoin exceptionnel de l’Histoire.

Dany Be percevait déjà que l’Histoire moderne de Madagascar était souvent occultée par les jeunes générations. C’est dans ce cadre qu’avec sa lutte pour la liberté d’opinion et d’expression, la transmission des connaissances à la jeunesse figurait parmi ses principales préoccupations, notamment vers le milieu de sa vie. Il était également l’un des principaux animateurs de la vie professionnelle des photographes malgaches. Il s’était en l’occurrence engagé avec Revue Noire à réaliser les premiers travaux sur l’histoire de la photographie malgache avec Pierrot Men et Emile Rakotondrazaka (dit Ramily) à la fin des années 1990.

Saluons la confiance et la complicité active de la famille de Dany Be sans laquelle cette exposition n’aurait pas eu lieu. La mise en lumière de l’engagement artistique, social et politique de Dany Be tente de rendre un premier hommage d’envergure à son œuvre photographique.

Rina Ralay-Ranaivo . Jean Loup Pivin
Avril 2024

* Extrait de la chanson « What a Wonderful World »
Louis Armstrong . ABC Records . 1967
Paroles et musique George David Weiss et Bob Thiele

EXPOSITION
DU 4 MAI 2024
AU 26 OCTOBRE 2024

La première exposition monographique de Daniel Rakotoseheno dit Dany Be (1935-2021), pionnier dans le photojournalisme à Madagascar.

Commissariat
Rina Ralay-Ranaivo et Jean Loup Pivin
avec la complicité de Rado Rakotoseheno

HAKANTO CONTEMPORARY
Alhambra Gallery . Étage 2
Ankadimbahoaka . Antananarivo
Madagascar